Déjà est une partition écrite pour deux pianos dont l’un est joué par Jean-Pierre Collot et l’autre au moyen de séquences d’instructions MIDI exécutées par un automate (un ordinateur). Les deux pianos sont accordés à un quart de ton de différence permettant d’approcher au plus près des spectres harmoniques soigneusement choisis, et de fonder des enchaînements harmoniques et des modulations cohérentes et très particulières, hors du système tonal et selon des procédés issus de la tradition spectrale fondée, notamment, par Gérard Grisey.
Le recours à un piano mécanique dont le jeu est contrôlé par un ordinateur permet, bien sûr, une grande virtuosité. Celle-ci n’est cependant pas ici une fin en soi : le jeu du pianiste, flanqué d’une machine qui en dédouble les limites, donne à entendre la nature d’un « je » sauvage, schizophrénique et pourtant fusionnel, ponctué de résonances électroniques minimalistes.
L’écriture du jeu du pianiste et du piano mécanique MIDI (un modèle Disklavier de Yamaha), réalisée à la suite de Encore entre 1999 et 2000, a participé du développement du logiciel OpenMusic de l’Ircam, à travers l’expérimentation tant des limites du piano mécanique - et la surchauffe des moteurs ! - que de principes compositionnels originaux (à propos de cette collaboration, cf. J.-L. Hervé & F. Voisin : « Composing the qualitative » in : The OM Composer’s Book, vol.1).
Pour ma part, au delà de la forme, j’y apprécie tout particulièrement une alternative radicale au paradigme électro-acoustique traditionnel où, plutôt que de porter sur le calcul numérique de sons et de leur diffusion électro-acoustique, l’informatique sert à développer le substrat machinique propre au fait musical où un dispositif électro-mécanique s’enchevêtre, de concert, aux facultés organiques d’un pianiste bel et bien humain. Nous entendons là un homme-machine que l’ornithologie inspire, loin des effets machiniques super-répétitifs et minimalistes d’un Steve Reich ou de ceux exploités dans certains genres populaires de musique électronique : la « machine » - complexe - ne se répète pas mais développe, nous laissant imaginer d’infinies variations, toujours inouïes, et permet une sorte d’éthologie expérimentale d’une chimère de pianiste. Elle prolongerait plutôt des expérimentations futuristes plus anciennes (je pense notamment au « Ballet mécanique » de George Antheil, 1927) qui anticipaient déjà les courants cybernétiques, mais en y replaçant une dimension proprement organique, animale et humaine.
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